Le général Charles de Gaulle a-t-il voulu restaurer la monarchie ?
Cette question divise toujours les historiens comme les monarchistes eux-mêmes quand elle n’est pas niée par les plus gaullistes de nos républicains. La France aurait-elle pu connaître le même destin royal que l’Espagne ? Charles de Gaulle naît au sein d’une famille catholique légitimiste qui lit l’Action française, principal organe du mouvement royaliste du même nom, mais néanmoins proche des milieux catholiques sociaux si cher à Albert de Mun. Dans la famille de Gaulle, on est Dreyfusard quand même bien le jeune Charles se passionne pour le nationalisme de Maurice Barrès. Autant dire que dès sa naissance, Charles de Gaulle baigne dans une atmosphère quasi monarchiste et traditionaliste. Ce n’est qu’en 1954 que le futur président de la Vème République et l’héritier des rois Capétiens se rencontrent véritablement pour la première fois. La fin de la IVème république, qui avait été instaurée sur les ruines du régime de Vichy et qui avait rendue toute restauration de la monarchie impossible, était alors paralysée par les jeux de partis et allait rassembler les deux hommes mués par le même sens de la nation. Dans sa biographie intitulée « Mémoires d’exil et de combat » (1979), le comte de Paris ne fait pourtant pas mystère de son animosité envers le Général de Gaulle. Pour le prétendant au trône, l’officier qui fut le représentant de la France Libre durant la seconde guerre mondiale ne pouvait pas à cette période incarner la France dont lui-même se sentait le légitime héritier. Les deux hommes avaient pris des chemins opposés. De Gaulle, à Londres, tente d’unifier sous son autorité les débris de l’armée française en déroute, Henri d’Orléans tente, quant à lui, de convaincre le Maréchal Pétain de lui céder son siège avant de décider de jouer, en vain, ses propres cartes en Afrique du Nord. Mais c’est le sujet brulant de la Communauté européenne de défense (CED) que tous deux jugeaient comme étant un « marché de dupes » qui va finalement rapprocher les deux hommes alors que débute le drame de l’Indochine française. Le Général de Gaulle lisait régulièrement et avec intérêt le « Bulletin mensuel » du comte de Paris et avait manifesté son désir de le rencontrer. La rencontre tant attendue eut lieu dans la résidence du gouverneur honoraire de la banque de France, Emmanuel Monick, le 13 juillet 1954. Au centre des discussions, l’avenir de la République. De Gaulle dit alors au comte de Paris « Si la France doit mourir, c’est la République qui l’achèvera (..) d’ailleurs ce n’est pas le régime qui convient à la France. Si la France doit vivre, alors la monarchie aura son rôle à jouer (..) en l’adaptant, en lui donnant un sens, elle peut être utile. » Le comte de Paris est conquis, reverra à diverses reprises le général de Gaulle jusqu’au coup d’état de mai 1958 que le prétendant approuve totalement et qu’il se fait fort de faire savoir au concerné par une lettre datée du 3 juin suivant. Ce ne sera d’ailleurs pas la première fois que l’option d’une monarchie est évoquée sous la IVème république. Parallèlement au comte de Paris, le Président du Conseil français et député du Pas-de-Calais , Guy Mollet, évoquera au cours d’une rencontre avec le gouvernement français, le 10 septembre 1956, la possibilité d’une union entre le Royaume-Uni et la France. Nous sommes à l’aube de la crise du canal de Suez. Bien que le Premier ministre Anthony Eden manifesta un certain enthousiasme à cette idée, et qui aurait fait de facto d’Elizabeth II un chef de l’état français, le gouvernement britannique finit par rejeter cette demande incongrue du français. Toujours enthousiaste, le prétendant n’hésite pas à remettre le 17 juillet, un rapport qu’il a fait rédiger sur l’association capital-travail au sein de l’entreprise et appelle les royalistes à voter oui à la nouvelle constitution de septembre 1958 qui va célébrer la naissance de la Vième République. Cette constitution, Henri d’Orléans a pu la lire. Elle le satisfait tant elle remet le Président de la République dans ses pleins pouvoirs. Une constitution faîte pour un Roi ! En 1959, l’enthousiasme du prince à l’égard du « sauveur de la France » tiédit considérablement face aux rumeurs de complots et autres affaires qui surgissent. Aurait-il été dupé ? Les premiers soupçons se forment, les monarchistes à Alger ont nettement appuyé toutes les actions militaires qui ont porté au pouvoir le général de Gaulle. D’ailleurs, le prince appréciera peu de voir les principaux organisateurs du coup d’état d’Alger, d’être éloignés de l’Élysée. Charles de Gaulle va alors s’empresser de rassurer le prétendant au trône de France. Le 10 mai 1959, visitant Amboise, le général de Gaulle déclare : « je salue nos rois, leurs descendants qui sont de très bons, de très nobles , de très dévoués serviteurs du pays ». 2 mois auparavant, le comte de paris avait été reçu au palais de l’Élysée. Le prince occupe dès lors, de manière non officielle, le poste de conseiller à la présidence. Les premiers jalons de la restauration sont posés. Les Orléans naviguent déjà dans les arcanes du pouvoir. Le fils du prétendant, Henri, intègre pendant quelques mois le Secrétariat Général de l’Élysée afin qu’il s’initie aux affaires de l’état. Le comte de Paris propose alors un choix au Général de Gaulle : proclamer la monarchie avec tous les risques qu’une telle mutation inattendue pouvait susciter via un référendum, soit accepter sa candidature pour la prochaine élection présidentielle. Le comte de Paris songeait alors faire un septennat et à la fin de celui-ci, poser la question du retour de la monarchie à travers un référendum. Un système auquel était attaché Henri VI d’Orléans et que confirme l’historien. Jean Tulard : « les Orléans accordaient plus d’importance à l’approbation populaire qu’à un sacre, cérémonie que l’évolution des esprits rendait anachronique.» Le Général de Gaulle restera cependant évasif face à ces hypothèses. Se voyait-il alors à l’instar du général Franco rétablir la monarchie légitime et qu’il évoquera avec le comte de Paris, le 28 octobre 1961 ? Sa volonté de confier au comte de Paris la présidence de la Croix-Rouge et les nombreuses missions diplomatiques dans des pays musulmans, comme le Liban, l’Iran ou l’Afghanistan, laissent à le penser sérieusement. En face du prétendant au trône, Michel Debré, premier ministre, qui se refuse à envisager toute idée de restauration de la monarchie y compris de confier ces pouvoirs militaires et ce titre proconsul en Algérie française que lui réclame le prince. Le comte de Paris songeait-il à rééditer sa tentative de prise de pouvoir à Alger en 1942 ? Parmi les Pieds-noirs, le prince a su garder l’image d’un homme politique à la personnalité forte auquel ces français des départements d’Afrique du Nord font confiance. Pourtant le prince, au départ défenseur de l’Algérie française, ne faisait plus mystère de ses convictions sur le sujet. Il souhaitait organiser le départ pacifique des français d’Afrique du Nord menacé par « une politique incertaine » non s’en s’aliéner les plus extrêmes des français d’Algérie au péril de sa vie et y donner un des fils de France au panthéon des héros ayant perdu la vie dans cette guerre qui ne disait pas son nom. Le 24 février 1961, une nouvelle fois, le général de Gaulle réaffirme au comte de Paris sa volonté de voir la monarchie revenir en France précisant qu’un échec serait l’avènement du communisme dans le pays. Henri d’Orléans est enthousiaste. Il multiplie les missions à l’étranger pour la France avec un certain succès. Jusqu’alors élu au suffrage indirect, le principe de l’élection du plus haut représentant de l’état au suffrage universel est alors acté en octobre 1962. Bien qu’il ait été favorable à cette réforme, le comte de paris met en garde de Gaulle à travers son « Bulletin mensuel » : « Pour donner son plein sens au vocable démocratie, il convient surtout que le terme signifie l’engagement de tous, et non de quelques groupes privilégiés, politiques ou de pression, dans la construction de l’avenir. Sans ce dialogue, sans cette communication permanente que le général de Gaulle veut établir entre les Français et l’État, l’autorité sera sans appui et la liberté sans objet .» En juin 1961, se confiant à son fils dans une lettre privée, le général de Gaulle écrit qu’il faudra «continuer cette sorte de monarchie populaire et qui est le seul système compatible avec le caractère et les périls de notre époque ». Les propos sont ambiguës… Le général de Gaulle rencontre à l’Élysée le comte de Paris et lui donne 3 ans pour se préparer, affirmant qu’il n’entend pas se représenter pas au terme de son mandat, en 1965. La voie vers la restauration semble alors tracée pour le prétendant. Le 23 mai 1963, la une du magazine « l’Express » est consacrée au comte de Paris. Un dossier complet sur celui qui semble avoir été désigné comme l’héritier de De Gaulle. Depuis février déjà, les actualités Pathé suivaient quotidiennement le prétendant au trône et lui consacraient de nombreux reportages y compris les plus peoples. Mais en octobre 1963, le comte de Paris ne peut que constater l’échec des négociations pour le poste de président de la Croix- rouge dont le détenteur refuse de se démettre à son profit et que le général de Gaulle souhaitait lui donner comme tremplin à une candidature à la prochaine élection présidentielle. Henri d’Orléans a t-il été dupé une nouvelle fois ? Un an avant les élections de 1965, le comte de Paris insiste auprès de Gaulle et réclame qu’il soit enfin présenté aux français comme son successeur officiel. Le général refuse, soupire, il a depuis longtemps pris sa décision: «que n’étiez-vous à Bir Hakeim ?» lui déclare-t-il. Et de confier en aparté, à ses plus proches collaborateurs qui s’inquiètent de l’apparition éventuelle du prétendant au trône dans le champ politique français : « le comte de Paris à l’Élysée, pourquoi pas la reine des Gitans ?». Alain Peyrefitte, alors ministre de l’information, se fait le porte-parole de ces gaullistes républicains réfractaires au comte de paris, lors d’une réunion en juin 1963. De Gaulle lui répond que « si il a de l’estime et de la considération pour le personnage historique, une candidature du prince n’aurait aucune chance ». Le général de Gaulle semble garder une certaine rancune puisqu’il évoque à nouveau au cours de cet entretien, le peu d’empressement du prétendant à le rallier lors de la seconde guerre mondiale. Dans les milieux royalistes, c’est la consternation. Depuis la perte de l’Algérie française, le général de Gaulle n’était plus ou que très peu populaire dans les milieux monarchistes. Les jeux sont faits. La restauration de la monarchie a été sacrifiée pour le jeu politique au détriment des intérêts de la nation. Le 20 janvier 1966, lors d’un autre entretien, le général de Gaulle confirmait au prétendant (qu’il avait accueilli directement sur le perron de l’Élysée) la quasi impossibilité de restaurer la monarchie non sans lui avoir pourtant proposé le perchoir du Sénat ou de l’Assemblée nationale. Pour Henri d’Orléans, le président de la Vème République avait alors perdu ce rôle d’arbitre qui faisait l’essence même du souverain pour devenir un banal leader d’une majorité républicaine. La restauration de la monarchie en France a-t-elle était envisagée. L’ombre d’un doute demeure encore aujourd’hui. Le comte de Paris aurait-il pu se jeter dans la bataille ? Impossible, car en faisant ce choix, il aurait perdu sa raison d’être au risque de provoquer un conflit direct avec les français et fonder un parti n’aurait été que suivre cette logique républicaine qu’il exécrait. De plus, faut-il noter que les français adhéraient peu au principe d’hérédité bien qu’ils étaient nombreux à estimer le prétendant au trône dont il avait appris à redécouvrir la figure depuis l’abrogation de la loi d’exil, le 24 juin 1950. Dans son ouvrage « Au protocole du général De Gaulle » Jean-Paul Alexis pose la question et tente de trancher : « le général de Gaulle était-il monarchiste ? Il n’est pas douteux de penser qu’il avait une profonde admiration pour la monarchie française, admiration de l’historien pour la grande œuvre des bâtisseurs de la nation française mais aussi de l’homme politique pour l’institution (..) mais si il était monarchiste de sentiment, a-t-il pour autant envisagé de restaurer à un moment donné et comme l’indique un processus de restauration ? Cela parait en définitive vraisemblable presque tous les indices concordent et que ce projet s’appuyait sur la souveraineté populaire (..) le chef de la maison de France renouant par ce même suffrage l’union millénaire avec les français. L’ayant élu président, ceux-ci auraient peut-être à l’usage mesuré l’intérêt de parachever l’institution par un retour aux sources, c’est-à-dire passer de la monarchie élective de 7 ans (voir 14 ans) de la Vème république à la monarchie héréditaire ». Robert Aron dans un autre ouvrage intitulé « Méthodes politiques du général de Gaulle », affirme que « le régime de la Ve République semble donc bien, dans l’idée de son concepteur, être un retour à l’esprit monarchique » et que De Gaulle se rêvant « comme celui qui allait rétablir le désordre initié (selon lui) par la Révolution Française de 1789. ». L’auteur reste toutefois dubitatif sur la réelle volonté du général de Gaulle de restaurer la monarchie, ne voyant qu’en lui qu’un politicien manipulateur. Et que pensait donc le Vatican des perspectives de restauration de la monarchie en France ? Le Monde du 11 mai 1979 révélera que le général de Gaulle avait fait sonder en 1965 le Saint-Siège afin de connaître leur position en cas de restauration de la monarchie en France. La réponse du pape Paul VI aurait assez directe. Oui pour une restauration de la monarchie mais un refus net en cas de l’avènement sur le trône d’un Orléans. Difficile de confirmer si les propos vinrent du pontife lui-même ou d’une interprétation des officines de certains républicains tels que Jacques Foccart, l’inamovible secrétaire d’état aux affaires africaines et malgaches, qui affirmait que « toutes ces histoires autour du comte de paris étaient idiotes ». Doit-on y voir la mise en place d’un vaste complot au sein de l’Elysée de la part des barons du gaullisme afin de faire pression sur le Président et qu’il renonce à cette succession plus royale ? Michel Debré ne cachait vraiment pas son animosité à l’encontre du comte de paris et refusait de se voir reléguer au second plan. L’ambiguïté règne dans cette affaire. Le général de Gaulle s’est-il servi pour ses propres ambitions, des royalistes et du comte de Paris afin de se faire légitimer où le comte de Paris a-t-il réellement cru en ses chances de restauration. Lors de son 8ème entretien avec le prétendant, c’est Charles de Gaulle qui semble donner le mot de la fin à cette affaire face à un Henri d’Orléans désabusé : « personnellement, j’aurais souhaité le rétablissement de la monarchie mais vous connaissez mon sentiment à cet égard. Vous êtes le Roi, oui, vous l’êtes, par conséquent une restauration aurait été une bonne chose (..) mais je ne la crois pas possible, les français en sont si éloignés. ». Le 6 octobre 1966, le général de Gaulle réitère ses propos: « on peut peut-être faire une autre monarchie. Une monarchie sans le nom. C’est la chance à courir. Hélas les français ne sont pas un peuple monarchique-ils sont même plutôt fiers d’être républicains». Lorsque paraitra son ouvrage « Dialogue pour la France » aux éditions Fayard, en 1994, résumant une longue correspondance et nombreux entretiens entre lui et le général de Gaulle (1953 à 1970) , Henri d’Orléans confia au journaliste de « Point de Vue-Images du Monde », Vincent Meylan, qu’il croyait encore sincèrement que Charles de Gaulle irait au bout de son mandat en 1965 et restaurerait finalement la monarchie. Mais selon le constitutionnaliste Maurice Duverger, le général de Gaulle avait instauré en 1958 « une monarchie républicaine » dotée « d’une allure au droit divin ». « Il n’a pas tenté de restaurer ce qui n’était pas restaurable, il n’a pas rétabli l’ancienne monarchie mais il a ouvert la France à la nouvelle ». A cela le Comte de Paris, dans un entretien à la revue « Histoire » en 1995, répondait de manière acerbe : « le roi de France, un roi des français, est un chef d’état héréditaire. Le « monarque républicain » n’est que l’émanation d’un parti. Il ne peut représenter l’ensemble des intérêts des français ». Assurément « le général de Gaulle fut un monarque de 1958 à 1965. Il n’avait pas d’héritier mais un héritier présomptif, le comte de Paris. De 1965 au référendum de 1969, le général de Gaulle fut un homme de parti, de la droite et ses héritiers étaient innombrables ! ». La France avait manqué de sacrer une nouvelle fois ses rois !
Business
Leave A Comment